Mourmelon-le-Grand
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Révolution au Lido

Les histoires de Jacques -6-

Escale à Tanger...

Le rallye international de Tanger.

      Une aventure qui s'est déroulée du 10 au 17 Septembre 1963. La machine : un Ryan "Navion" de 188 CV, métallique, train rentrant et hélice à pas variable. Quatre véritables places confortables. A l'origine, il était équipé d'un goniomètre Bendix, à cadre externe circulaire, sur le cockpit et manoeuvré de l'intérieur à l'aide d'une grosse manivelle... Pas facile de rechercher un mini avec cet engin et avant d'entreprendre de longs voyages, j'avais demandé à son propriétaires de le faire remplacer par un radio-compas transistorisé, moderne, à cadran. Le charme des liners d'autrefois avait disparu, mais la sécurité de navigation avait fait un sérieux bond positif ! Et au passage nous avions gagné une bonne vingtaine de kilos et de la traînée en moins !


En route, sur le Navion, piloté par son propriétaire. En haut, un peu à droite, la manivelle du gonio... © J. Dassié

      J'étais le pilote, pas encore beaucoup d'heures, trois cent et quelques, qualifications B et radio internationale, mais déjà quelques beaux voyages à l'étranger. Familier de Toussus et de Saint-Cyr où j'avais fondé un centre inter-club de préparation à la qualif radio et à la radionavigation. Les passagers : mon épouse et les propriétaires de l'avion, un couple dont les exploits de pilote vous ont été contés, à l'occasion de Mourmelon. Vous en souvenez-vous ? "Mourmelon, 20000 soldats, 53 cafés..."

      Avion vidangé, bien préparé, pleins faits et vérifiés, un beau matin de Septembre, Toussus nous voyait décoller vers Pons-Avy, à deux heures de là. Après l'escale technique (famille) continuation sur Biarritz-Parme le lendemain, en 1:15 H, douane, puis saut de puce d'un quart d'heure vers San Sebastian, redouane, puis liberté de manoeuvre en Espagne où nous repartons pour Madrid-Cuatro Vientos où nous arrivons en faisant la course avec des cumulonimbus qui se développaient à vue d'oeil sur la Sierra de Guadarrama ! Pour une fois, nous avons gagné et à nous le fin restaurant, au sommet de la Torre de Madrid, placés littéralement au coeur d'un orage carabiné ! Très impressionnant, surtout pour nos dames qui s'y voyaient encore....

      Le lendemain, le matin, Madrid-Séville, déjeuner et visite de la ville en calèche. Ah, ces balcons de fer forgé derrière lesquels on imagine quelque silhouette Andalouse, avec éventail et mantille...


La course avec les gros méchants... © J. Dassié

      Mais il faut oublier la Giralda et de nouveau repartir, pour l'Afrique cette fois, avec la petite pointe d'émotion déclenchée par le nom de ce continent mythique... La douane, les cunimbs de la Sierra Morenna (ça pétait de tous les bords, un orage sec, mais des colonnes de feu qui tombaient droites et drues, un peu partout, devant, derrière... Impossible de trouver un cap vers une zone plus calme. Puis, subitement, à l'approche de Cadix, le ciel s'est éclairci et l'azur intégral est revenu... Oui, là, cet espèce de pain de sucre, mais c'est Gibraltar... Un spectacle merveilleux s'offrait à nous : la terre plus ocre, là, en face, mais c'est l'Afrique ! Et ces eaux bleues zébrées de traits blancs, c'est le détroit avec les sillages de nombreux bâtiments. Nous survolions les colonnes d'Hercule... Un peu fier, le gars (heu..., c'est toujours moi !)

      Quelques épreuves techniques et ce fut le contact avec cette terre d'Afrique. A peine parqués à Tanger-Airport, nous étions pris en charge par de charmantes hôtesses et conduits vers une immense tente, dont les côtés ouverts à mi-hauteur laissaient passer une agréable brise, pour le thé à la menthe de l'accueil traditionnel... Cette première impression était vraiment d'une qualité exceptionnelle !

      
Le merveilleux thé à la menthe, à l'arrivée... © Jacques DASSIÉ

      Après les soins à notre coursier, conduite vers nos hôtels où un bon bain achève d'effacer la fatigue d'une journée assez longue. Le programme prévoyait une visite des jardins du Palais du Glaoui, au jour tombant, puis un dîner dans un haut lieu de la ville. Nous étions, le commandant de bord et ses passagers, les invités du Ministère Marocain du Tourisme... Et que ces gens-là ont l'art de bien recevoir... Tout évoquait les mille et une nuits : les tapis somptueux posés sur de petites allées dallées de céramiques, circulant au milieu de bassin avec des jets d'eau, pleins de nénuphars fleuris. Les serviteurs faisant pleuvoir des pétales de rose cependant que des créatures charmantes inclinaient avec délicatesse quelques aiguières d'argent pleines d'essence de rose, vers le col de votre chemisette...

       Les spectacles de danseurs aux tambours, de danseuses du ventre (Ah... les danseuses), les chanteuses berbères (Oui, bon, il faut sans doute être un spécialiste pour apprécier... Et je ne suis pas un spécialiste...). Tout de même, une merveilleuse soirée sous les étoiles !



Dîner dans les jardins du Palais du Marsan. FES. © J. DASSIÉ

      Le lendemain, Tanger-Fes, l'hôtel El-Zalagh, la medersa, école coranique, avec initiation en français, la médina et les souks où ils ont réussi à nous faire acheter plein de trucs dont nous n'avions aucun besoin ! Au coucher du soleil, visite de la ville en deux-chevaux. C'est d'ailleurs là que j'ai eu l'occasion de passer ma qualif two-bourrins, dans une calèche équipée de deux bêtes faméliques. L'ennui, c'est qu'elles n'étaient pas encore équipées de pots catalytiques et que ces saloperies de canassons pétaient, pétaient...sous le clair de lune ! Enfin, pour avoir une qualif bi, et de nuit, il faut savoir faire des sacrifices...


Petite séance de musculation involontaire, et je passe sur le grand entonnoir et le filtrage à la peau de chamois...

      Toujours le lendemain (mais pas le même), le rallye devait se rassembler sur la base Royale Marocaine de Marrakech. Nous étions 125 appareils et voir 124 avions civils, impeccablement alignés au sol, pleins faits et pare-brise nettoyés : ça a de la gueule !

      Quoi, "et le 125ème", entends-je dans le fond ? Juste interrogation d'un auditoire spécialisé et finement observateur. Le 125ème, dis-je, conduit par deux pures jeunes filles anglaises (information non vérifiée), passait juste à ce moment verticale terrain, à peu près au FL 65, droit sur l'Atlas. Pas de réponse radio... Les Marocains ont fait décoller deux chasseurs pour les ramener tout à la fois dans le droit chemin et sur la base militaire...


Cette excellente machine, le Navion, avec son propriétaire et nos épouses.

      Les épisodes aéronautiques terminés, transports aux hôtels. Miracle, le notre, c'était "La Mamounia", l'immense caravansérail du rêve et du mythe. L'inaccessible où des chambres portaient encore les noms de telle ou telle star de Hollywood, ou celle de Winston Churchill ou encore celle du général De Gaulle... Décidément, cet accueil Marocain était absolument extraordinaire.

      Les chambres attribuées, nos épouses foncent parfaire leur beauté, cependant que les pilotes s'agglomèrent devant le mini-souk, là, devant, sur le trottoir ! Ce qui devait arriver arriva et nous voilà tous, les bras chargés de paquets, en direction des replatrages-rooms de la Mamounia. Séance de déshabillage/rhabillage, avec l'aide de quelques serveurs francophones et nous voila tous gandourés, chêchés (non, je ne suis pas auvergnat !) et proprement babouchés, comme d'authentiques bédouins.

 Le Cdb du Navion perplexe... une pipe d'échappement ? Marrakech, la Mamounia. © J. DASSIÉ

      Après avoir sonné à la porte de ma suite, je hoquetais et failli perdre mes lunettes de soleil en écoutant ma chère et tendre essayer de m'expliquer qu'il fallait que je m'adresse à son mari, qui était sans doute dans le hall à s'occuper des formalités... L'hôtel n'était plus qu'un fou-rire ! Ce fut un séjour de rêve où tout dépassait -et de loin- les promesses des dépliants touristiques... Si j'avais une seule image à citer, ce serait celle de la place Djemal-el-Fnah, à la nuit tombante, quant le sifflement des lampes à carbure (remplacées maintenant par les petites bouteilles de gaz ou par l'électricité) rejoint la musique aigrelette des charmeurs de serpents, quand la foule se presse autour des conteurs un peu magiciens, quand les senteurs épicées de étals des cuisiniers marocains viennent chatouiller vos narines, quand... indescriptible, il faut y aller et le ressentir.

      Une fin d'après-midi, fatiguées des promenades de la journée, les dames remontent dans les suites et nous, les hommes, glissons tout naturellement vers les accueillants tabourets d'un bar en sous-sol, plein d'une délicieuse fraîcheur à laquelle une climatisation discrète ne devait pas être étrangère... Nous étions seuls quand arrivent, poussés par les mêmes raisons, deux personnes aux visages familiers. "Tiens, mais je les connais, ceux-là !". Et pour cause, il s'agissait de Jean-paul Belmondo et de Lino Ventura. On a discuté, et là encore, le phénomène d'inversion à joué, ils n'ont pas arrêté de nous questionner, surpris que l'on puisse venir de Paris avec nos trapanelles. Ils étaient en train de tourner "Cent mille dollars au soleil" et appréciaient beaucoup la Mamounia. Des gars sympathiques.

      Les meilleurs choses ayant une fin, il a fallu prendre le chemin du retour, avec une dernière escale en terre africaine, à Tanger. Il était prévu une très grande réception officielle à la villa Harris. Une armée de serviteurs s'affairaient dans le parc auprès des deux cents moutons qui composaient le plus gigantesque des méchouis ! Hélas, hélas, hélas (trois fois "hélas"). Vous connaissez les cunimbs, nos amis les cunimbs ? Quelques uns d'entre-eux voulurent se joindre à la fête et -maladroitement- ouvrirent leurs vannes juste au-dessus de nos têtes, noyant les feux et rinçant la crudité des moutons (je soupçonne quelques irréductibles d'avoir bouffé du mouton cru ! Moi , je n'ai pas réussi !

      Bien sûr, il y eut des compensations sous forme d'amuse-gueules, de pâtisseries et de loukoums aux couleurs pastelles. Le tout au milieu des musiciens, tassés comme des sardines dans les grands salons, étourdis de bruits de clochettes et de cymbales, la peau du ventre résonnant en synchronisme avec celle des tambours... Fantastique !

Oui, mais on avait raté le méchoui du siècle...

      Toujours le lendemain (non, c'est un autre...) il fallait penser aux choses sérieuses et faire un choix : l'Espagne, par le centre ou par la droite ? Par les sierras orageuses ou par la côte Est ? Après consultation de la météo, je choisis l'est, par Valence et Barcelone. Oui, mais mes documents de vol étaient très complets pour l'ouest et le centre, mais squelettiques pour l'est... Qu'à cela ne tienne, me dit-on, vous trouverez tout ce que vous voudrez à Valencia...

      Sitôt dit, sitôt fait et nous voilà sur la route de Balencia (comme ils disent), sans problèmes (ils n'étaient pas encore arrivés, mais on allait les livrer très bientôt)... Escale à Valence, la douane, les pleins et je parcours l'aéroport en quête de documents sur le reste de la route : rien, non, rien de rien (oh, pardon, une réminiscence, sans doute). Juste une vieille Michelin espagnole sur laquelle figuraient les terrains, les principales fréquences sur une feuille de cahier, avec une photocopie de la feuille de Barcelone obtenue à la tour. La météo, assez peu explicite, me donne un vent favorable sur l'ensemble du trajet. Bon, on y va, on verra bien. De toute façon, en suivant la côte, il ne pouvait pas y avoir de gros problèmes de navigation.

      Au bout d'une petite heure, je trouvais que ça ramait pas mal et doutais sérieusement du vent réel, d'autant plus que la visibilité s'effondrait et que nous étions de plus en plus secoués... Par radio (un poste ou il fallait chercher les fréquences en tournant un bouton, c'est fou ce que c'est pratique) j'entendais que des liners se déroutaient des Baléares... Je commençais à regarder quel terrain de dégagement je pouvais attraper. Hélas, sur cette carte, il n'y avait que Reus, un terrain militaire. Et à cette époque-là, les militaires espagnols ne plaisantaient pas. Je connaissais l'exemple d'un avion civil dont l'équipage, dans les mêmes conditions, avait été gardé en prison avant de passer en jugement... Je décidais de poursuivre jusqu'à Barcelone où l'accueil serait plus agréable. Côté carburant, pas d'inquiétude, mais côté visibilité...

      Le ciel devenait noir et j'avais allumé les feux de bord. Je m'estimais à une quinzaine de minutes de Barcelone quand la pluie s'est mise à tomber... Mon obsession devenait de trouver le terrain au plus vite et surtout de ne jamais aller côté terre en raison du relief. J'avais maintenant Barcelone en contact gonio, ce qui m'arrangeait bien, car le mien avait tendance à faire trois fois le tour à chaque décharge atmosphérique. Arrivé en vue des lumières de la ville, je m'éloignais vers la mer pour me rapprocher au bon axe. Le gus, au gonio, avait été chercher un de ses collègues francophone, C'est précieux, dans ces moments-là. Je devais être à peine à cent cinquante pieds au dessus de la mer dont nous voyions les crêtes blanches... Derrière, nos épouses mangeaient leurs mouchoirs, des larmes plein les yeux...

      Enfin, je me suis annoncé "piste en vue", pour corriger presque aussitôt en apercevant les feux des voitures : c'était une autoroute... Retour vers la mer, re-alignement, c'était le bon, cette fois. Hydraulique en pression, train sortit, trois vertes, manifold pressure, plein petit pas, les phares, vérifications : c'est bien une piste et la bonne. Le trapèze s'élargit correctement, on est un peu vite, mais avec ce temps-là...
Aile au vent,
décrabage, une roue touche, puis l'autre et je me dépêche de poser la roulette de nez. Posé somme toute sans difficultés majeures malgré les rafales, car l'avion était lourd. Au parking, au pied de la tour, nous avons attendu plus d'un quart d'heure avant d'oser ouvrir le cockpit tellement la pluie était devenue forte.

      Au contrôle, j'ai demandé à rencontrer l'opérateur gonio pour le remercier. Il était justement avec le Commandant de l'Aéroport qui était monté suivre notre arrivée et m'a accueilli avec un large sourire et m'a félicité. Ce n'est qu'en repartant qu'il m'a dit "Bien entendu, vous avez une qualif IFR ?". J'ai répondu positivement en souriant, car il n'était pas dupe. C'était un professionnel, heureux que cela se soit bien terminé. Merci Commandant, merci le Navion. Mais quelle leçon pour moi... même maintenant en analysant l'enchaînement des faits qui avaient pu conduire à cette situation frisant la catastrophe... En résumé, lourde imprévoyance dans la préparation des documents de ce voyage et situation météo totalement erronée fournie à Valence. Un demi-tour se serait imposé pendant qu'il en était encore temps... D'autant plus que là, je l'aurais eu dans le bon sens, le vent !

      Terminé ? Que nenni ! Voici la suite de l'histoire : Après recherche d'un hôtel sur les Ramblas et une soirée correcte, le lendemain matin, le propriétaire-passager me dit qu'il a eu vraiment trop la trouille et qu'il rentre à Paris, avec son épouse, par Air-France. Sitôt dit, il me laisse à l'aéroport et nous agitons nos mouchoirs au départ de son vol. Ce sont les seuls passagers que j'ai jamais perdu en route... Bon, ne nous affolons pas. Visite à la météo. Il y a encore quelques résidus dans le ciel mais rien de bien grave et nous allons pouvoir rentrer sans ennuis. Décollage de bonne heure, l'avion fait bien vide avec seulement cinquante pour cent d'occupation des sièges... La côte, Perpignan, la douane (encore, dites-vous ! Et oui, Messeigneurs, Schengen n'était pas né.). Redécollage, la vallée de l'Aude où le soleil fait son apparition, puis la vallée de la Garonne, un peu de Gironde et Pons-Avy, avec l'escale vacances. Le lendemain, retour à Toussus, mon vieux terrain, où j'ai tant tourné, avec la voix si familière du copain de la tour !

Cette fois, il a fini, redites-vous ! Que nenni (etc, bis).

      Dès l'arrivée, j'appelle le propriétaire du Navion et son épouse m'apprend qu'il vient d'être hospitalisé avec une sévère occlusion intestinale... Oui, rassurez-vous, âmes sensibles, il va très bien s'en tirer, avec probablement un demi-mètre d'intestin en moins. Par contre, on ne saura jamais si c'est notre arrivée mouvementée à Barcelone qui lui a "noué la tripaille" ou bien si c'est tout ce qu'il a ingurgité, en compensation, ce soir-là sur les Ramblas, qui lui a bétonné la canalisation... Tout de même, ce monsieur à sagement renoncé à l'aviation et fini par vendre son Navion...

Est-ce le terme de l'histoire de cet avion ? Non, elle est tout autre : un an plus tard, regardant les actualités télévisées, j'ai la surprise de voir le Navion, oui, celui-là même, le F-BAFZ, en vol, en gros plan sur l'écran, suspendu à un fil... Zoom arrière de la caméra qui révèle que le fil aboutissait à un gros hélicoptère !
Cet appareil venait de faire un amerrissage involontaire dans l'étang de Saint-Quentin, près de Versaille ! Et comme le kit "hydravion" n'était pas encore commercialisé par Ryan...

      Là, ça y est, c'est fini, réellement fini. Je ne vous demande qu'un peu d'indulgence dans vos jugements péremptoires. Que celui qui... vous connaissez la suite !

Mais tout de même, près d'un demi siècle après... ce fut un fabuleux voyage !

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